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Les professeurs ont porté plainte, une omerta qui casse. Depuis plusieurs semaines, un scandale sans précédent éclabousse les universités marocaines. Connu sous le nom de « sexe pour de bonnes notes », il a pris de l’ampleur avec les révélations dans la presse et sur les réseaux sociaux d’une série de cas de harcèlement sexuel dans certains établissements du royaume.
Le 28 décembre, à Oujda (nord-est), des dizaines d’étudiants ont manifesté pour protester contre le harcèlement sexuel prétendument infligé par un enseignant à plusieurs élèves de l’École nationale de commerce et de gestion (ENCG), de l’Université Mohammed-Ieuh. Des captures d’écran de conversations avaient été postées la veille sur les réseaux sociaux : il s’agissait de « Séance de fellation » contre validation du semestre. Un échange avec un autre élève a également circulé, ainsi qu’une lettre anonyme d’une jeune femme affirmant avoir été contrainte de quitter l’école en raison des pressions de l’enseignante.
Bien qu’aucune plainte n’ait encore été déposée, ces accusations ont été prises au sérieux par le ministère de l’Enseignement supérieur, qui a dépêché une fee d’enquête. L’enseignant a été suspendu, deux responsables de l’ENCG ont été démis de leurs fonctions et le directeur a été contraint de démissionner. « L’intéressé sera prochainement entendu par le conseil de self-discipline », indique la présidence de l’université, en précisant que« Un numéro vert et une cellule d’écoute au revenue des élèves plaignants » ont été mis en place.
« Je veux que tu me fasses ces positions »
Le 30 décembre, un autre scandale a éclaté dans le milieu universitaire, cette fois à Tanger (nord). Ce jour-là, la presse révélait que douze étudiants de l’École supérieure de traduction Roi-Fahd (ESRFT), de l’université Abdelmalek-Essaadi, avaient porté plainte contre un professeur. Ce dernier aurait fait regarder une élève d’une vidéo pornographique en lui disant « Je veux que tu me fasses ces positions », selon les témoignages rapportés par l’hebdomadaire Comme si, paperwork justificatifs. L’enseignant a été suspendu et l’université a lancé un programme anti-harcèlement.
Une affaire similaire de chantage sexuel avait déjà secoué le pays en septembre. Des poursuites judiciaires sont en cours contre cinq professeurs de l’Université Hassan-Ieuh de Settat, près de Casablanca, après la diffusion sur les réseaux sociaux de messages à caractère sexuel échangés entre un enseignant et ses élèves. Quatre professeurs seront poursuivis pour « incitation à la débauche », « discrimination de style », « violence contre les femmes » ; le cinquième pour « attentat à la pudeur avec violence », une accusation plus grave.
Ces scandales à répétition ont suscité l’indignation sur les réseaux sociaux. Sous le hashtag #MeTooUniv, plusieurs groupes de défense des droits des femmes ont lancé des campagnes pour amener les victimes à s’exprimer. « Nous avons reçu des centaines de témoignages de différentes universités. Tous dénoncent des actes de harcèlement à des degrés divers et parfois de chantage : avances sexuelles contre de bonnes notes, validation de modules ou de levels », rapporte Narjis Benazzou, président du collectif « hors-la-loi » : « Ce qui nous a le plus choqué, c’est l’ampleur du phénomène mais aussi sa normalisation, avec des pratiques souvent ignorées. «
« Aujourd’hui, les étudiants osent en parler »
« C’est un tabou qu’on brise », selon Yousra Elberrad, membre de la Fédération des ligues des droits des femmes : « Généralement, les victimes n’ont pas porté plainte, par peur des représailles, peur du regard de leur entourage, peur d’être seules contre tout le monde. Et lorsque des plaintes étaient déposées, elles étaient parfois étouffées et restaient sans réponse. Aujourd’hui, les étudiants osent en parler. Les autorités ont réagi et le ministère semble avoir compris l’ampleur du phénomène. «
Au Maroc, une loi entrée en vigueur en 2018 prévoit pour la première fois des peines de jail pour des actes considérés comme « Formes de harcèlement, d’agression, d’exploitation sexuelle ou de mauvais traitements ». « Cette loi a ouvert une porte, mais elle a des failles, notamment le fait que c’est la victime qui porte la cost de la preuve », dit Yousra Elberrad. Les associations de défense des droits des femmes demandent plus de garanties pour protéger les victimes et faciliter leur accès à la justice.
Depuis ces révélations, plusieurs universités du pays ont mis en place des cellules de veille. Au niveau nationwide, « Un code éthique et déontologique est en cours d’élaboration avec les acteurs de la société civile, dont l’objectif est d’éradiquer toutes les formes de violence en milieu universitaire », on indique au ministère de l’enseignement supérieur. Selon un rapport du Haut-Commissariat au Plan en 2019, 22% des élèves ont subi des violences dans un lieu d’enseignement. Dans un tiers des cas, il s’agissait de harcèlement sexuel.