Non reconnu en Europe, le vaccin russe ne permet pas aux expatriés de passage en France d’accéder au pass santé. Certains accumulent les calendriers de vaccination des deux côtés de la frontière.
« Nous sommes complètement les otages d’une géopolitique vaccinale. C’est un cauchemar pour nous tousAu printemps dernier, Catherine*, expatriée à Moscou, n’avait d’autre choix que de recevoir le vaccin Spoutnik. Pas de sérum Pfizer ou Moderna au pays de Poutine, et l’ambassade de France a évoqué des difficultés diplomatiques avec les autorités russes. Le Quai d’Orsay donc encouragé les Français à se faire vacciner localement. En mars et avril, la quinquagénaire a donc reçu ses deux doses. L’été suivant, il est très déçu à son arrivée en France : son calendrier vaccinal n’est pas reconnu. Privé de santé pass, l’expatrié est donc soumis à une quarantaine de dix jours, la Russie étant classée comme « zone rouge« Pour le Covid-19.
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Cependant, lorsqu’elle se rend au centre de vaccination voisin, pour recevoir un vaccin reconnu par la France, elle est catégoriquement refusée. « L’ARS ne dispose pas de données suffisantes pour permettre le cumul des vaccins», expliquons-nous. Six mois plus tard, rien n’a changé : pour les vacances de Noël, Catherine et ses enfants ont respecté une quarantaine de dix jours, et se sont contentés de lieux publics non soumis au fameux QR code.
Même déception pour Claire, vaccinée avec Spoutnik mais qui a voulu profiter des vacances d’été pour recevoir une première dose de Pfizer, puis une seconde à trois semaines d’intervalle. Refus du médecin. « À A l’époque, l’OMS déconseillait encore le cumul des calendriers vaccinaux», explique-t-elle à Figaro. « Beaucoup de Français ont caché qu’ils étaient vaccinés avec Spoutnik, pour ne pas être plus dérangés. J’aurais pu faire la même chose, mais le plus important pour moi était l’aspect médical« .
Un « scandale politique», Une zone grise sanitaire
Pris dans un imbroglio vaccinal, les Français de Russie ne savent plus vers qui se tourner. Et la guerre froide contre les vaccins semble s’installer pour durer. Dans le pays de Poutine, la reconnaissance de Pfizer, Moderna et AstraZeneca ne semble pas être à l’ordre du jour. « Nous avons nos vaccins, nous en avons quatre, cela n’offre-t-il pas la possibilité de choisir ? », estimait en juillet le porte-parole de la présidence russe. Côté européen, l’étude de la validité de Spoutnik par l’Agence européenne des médicaments semble aussi s’éterniser. Comme pour les sérums chinois Sinovac, Sinopharm et CanSino.
Pour ces vaccins, les directives du ministère de la Santé ont été mises à jour en septembre : « Les personnes ayant reçu une ou deux doses d’un vaccin non reconnu par l’EMA (…) devront recevoir deux doses de vaccin ARNm en France, afin de compléter leur calendrier vaccinal et ainsi obtenir un pass santé en FranceDu coup, de nombreux Français, à cheval sur deux pays, accumulent les doses. C’est ainsi que Catherine a pu, début janvier, recevoir sa première injection de Moderna. Elle reviendra à Pâques pour la seconde, et, en en attendant, recevra le rappel russe, le fameux « Lumière Spoutnik», d’étendre le QR code dans son pays de résidence.
« Empiler six doses me fait peur. Je le fais parce que je n’ai pas le choix, mais pour mes enfants, c’est hors de question ».
Catherine*, expatriée à Moscou
En attendant des données plus précises, Sylvie, une fonctionnaire française résidant de longue date à Moscou, a préféré attendre avant la morsure. Cela lui a presque coûté cher. Sa mère est tombée subitement malade début décembre. Débarquée en catastrophe, l’hôpital français lui a demandé un passeport sanitaire en cours de validité. Tous les matins pendant dix jours, la maman est allée chez le médecin pour recevoir l’écouvillon, son bébé sous le bras. « J’aurais pu tricher, utiliser le pass de quelqu’un. Mais la situation était suffisamment grave pour ne pas la compliquerdit-elle amèrement.
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« Une solution plus simple aurait été de faire un test sérologique en arrivant en France : on aurait su qu’on avait des anticorps, c’est tout !», soupire Catherine, qui a elle-même un taux d’immunité naturelle bien supérieur à la moyenne. Le quinquagénaire déplore le manque de données médicales sur le cumul de deux calendriers vaccinaux. « »Quand je raconte l’histoire aux médecins, ils hallucinent complètement. Nous sommes placés dans une situation médicale potentiellement à risque. Je le fais parce que je n’ai pas le choix, mais j’ai peur de m’injecter six doses dans mon sang sans connaître les effets potentiels.», confie-t-elle. « Quant à mes enfants de 10 et 5 ans, c’est tout simplement hors de question. On peut jouer avec ma santé, pas la leur« .
Échapper à la quarantaine
Comme pour accumuler de la tare, la Russie est l’un des derniers pays classés « pays à risquePar la France. Tout vol direct en provenance de Russie est soumis à dix jours d’isolement sur le sol français. « Aucune source publique n’explique pourquoi. Il n’y a pas de critère, comme si la décision était totalement arbitraire ! Il n’y a qu’à voir le Brésil, c’est la même chose», dénonce Catherine. Pour contourner la règle, de nombreux expatriés font escale à Amsterdam, Bruxelles, Francfort, Milan ou Barcelone. Sur les différents chats français en Russie, les conversations sont omniprésentes. « Si je fais ma première dose en Croatie, savez-vous si je peux faire la deuxième en France et activer le pass de vaccination ?On demande. Réponse : « Sur l’application TousAntiCovid, vous pouvez scanner le QR code du vaccin fabriqué en Croatie et voir immédiatement s’il est validé. je l’ai fait pour le 1temps reçu en Allemagne et le 2e en Espagne. Aucun problème« .
« Les Français de Russie n’ont pas le luxe d’être pour ou contre la vaccination, ils ont tout simplement été abandonnés. «
Franck Ferrari, conseiller des Français à Moscou
Le sentiment d’injustice est partagé par beaucoup. « Le ministère des Affaires étrangères affirme que les Russes n’ont pas autorisé l’importation de nos vaccins, mais l’argument est un peu simple», s’insurge à son tour Franck Ferrari, conseiller des Français à Moscou, qui plaide auprès de l’ambassade depuis le début de la crise pour l’accès aux vaccins européens. « VSComment se fait-il que les Finlandais, les Suisses, les Allemands parviennent à importer des doses, et pas nous ?Au printemps, une poignée de doses Johnson & Johnson n’avaient pu passer que, mais réservées au personnel des ambassades et à leurs familles. Certains Français se sont alors tournés vers les ambassades d’Allemagne ou du Canada pour profiter des doses restantes. .
Le 11 janvier, le porte-parole des expatriés moscovites a exprimé le désarroi de ses concitoyens dans une lettre adressée au ministre Jean-Baptiste Lemoyne, en charge des Français de l’étranger. « Les Français de Russie n’ont pas le luxe d’être pour ou contre la vaccination, ils ont tout simplement été abandonnés», rappelle l’auteur dans la missive que Le Figaro a pu consulter. « Serions-nous devenus une sous-nation ?Il demande. Contacté par Le Figaro, le Quai d’Orsay n’a pas répondu à nos demandes.
* Le prénom a été modifié.