Pour ne rien manquer de l’actualité africaine, abonnez-vous à la newsletter de Monde Afrique à partir de ce lien. Tous les samedis à 6h, retrouvez une semaine d’actualités et de débats traités par la rédaction de Monde Afrique.
En Afrique, la pandémie de Covid-19 a causé plus de dégâts économiques que de dégâts sanitaires. Après une récession en 2020 – du jamais vu depuis un quart de siècle – la reprise de la croissance a été plus modeste sur le continent que sur le reste de la planète. La crise a renversé des années de progrès économique et social et accru les craintes quant à la soutenabilité des finances publiques et de l’endettement. Pour l’année à venir, les perspectives sont mitigées.
L’économiste bissau-guinéen Carlos Lopes, professeur à l’Université du Cap (Afrique du Sud), juge sévèrement le soutien apporté par la communauté internationale au continent africain. Il se réjouit tout de même que cette période ait permis « Déplacer les lignes » sur certains sujets, comme la nécessité de développer une industrie manufacturière en Afrique.
« Le soutien apporté à l’Afrique a été très modeste, malgré les promesses de la communauté internationale »
Après la crise sanitaire, les économies africaines ont été durement ébranlées. Pouvons-nous nous permettre d’être optimistes pour 2022 ?
Pour moi, il y a plutôt des raisons d’être pessimiste. Après deux ans de crise, les gouvernements n’ont plus de marge de manœuvre budgétaire pour prendre des mesures de protection vis-à-vis des entreprises et des ménages. Les ressources limitées des familles ont été épuisées et les dommages sociaux sont très importants. Les flux de capitaux vers le continent ont diminué, tout comme les envois de fonds des migrants. Deuxièmement, le soutien apporté à l’Afrique a été très modeste, malgré les promesses de la communauté internationale. L’aide publique au développement a même baissé en 2021.
Il y a encore des nouvelles positives, comme la reprise de l’activité économique mondiale. Les prix des matières premières augmentent, ce qui est important pour les nombreux pays africains qui dépendent de leurs exportations. Et comme il y a des excès de capitaux sur les marchés, l’Afrique redevient attractive pour les investisseurs institutionnels en quête de rendement. Mais il y a aussi des signaux inquiétants, comme le positionnement de la Chine, qui est en train de revoir à la baisse sa politique africaine.
Lors du Forum sur la coopération sino-africaine à Dakar fin novembre, Pékin est en effet apparu plus en retrait que par le passé sur l’aspect investissements et financement. Cela aura-t-il un impact sur les économies africaines ?
Les énormes investissements de la Chine en Afrique ont effrayé ses « concurrents », ce qui a donné aux Africains un certain pouvoir de négociation. Ce sera moins le cas maintenant. En outre, la Chine a joué un rôle majeur dans la construction d’infrastructures sur le continent. Un ralentissement dans ce domaine rendrait la situation logistique encore plus complexe, alors même que le monde fait face à une crise des chaînes d’approvisionnement.
Les décisions chinoises sont certainement réfléchies et réfléchies. Le pays semble avoir procédé à une réévaluation des risques et il ne faut pas s’attendre à un nouveau changement de pied à court terme. Cela pourrait poser un gros problème pour l’Afrique, qui souffre déjà d’un important déficit d’infrastructures et de financement. Il sera difficile de trouver des alternatives rapidement. Je ne pense pas que les pays occidentaux, qui manifestent dans leurs discours un regain d’intérêt pour l’Afrique, puissent compenser – au moins dans les délais nécessaires – la baisse de l’intérêt chinois.
« Je crains que le sommet entre l’UE et l’Afrique ne soit avant tout l’occasion de grandes déclarations d’intention »
Un sommet entre l’Union européenne (UE) et l’Afrique doit se tenir en février sous l’égide de la France. Quel rôle pensez-vous que l’Europe devrait jouer pour soutenir la reprise ?
Je crains que ce sommet ne soit surtout l’occasion de grandes déclarations d’intention, de la part de la Commission européenne, du président français [Emmanuel Macron] et même le président [sénégalais] Macky Sall, qui sera alors l’actuel président de l’Union africaine. Il y aura des effets d’annonce mais pas des choses concrètes qui annoncent un changement profond dans la relation. Regardez ce qui s’est passé pendant la pandémie : dans l’aide, la Commission européenne s’est contentée de reprogrammer des fonds qui étaient déjà prévus pour le continent. Elle n’a pas ajouté un centime. Et l’UE n’a pas voulu encourager la levée des brevets [sur les vaccins] réclamés par les Africains.
Mais l’UE a fini par soutenir cette solution aussi…
A l’OMC [Organisation mondiale du commerce], là où se déroulent les négociations sur le sujet, c’est l’UE qui affiche les positions les plus conservatrices. Le président français a évolué sur cette question, mais au début il a dit qu’il était contre la levée des brevets, puis que ce n’était pas la priorité, puis qu’il fallait trouver des mécanismes intermédiaires, etc.
Il y a tout de même un écart assez important entre le discours et la réalité. Le président du Conseil européen, Charles Michel, évoque un changement de paradigme avec l’Afrique. Mais qu’est-ce qu’un changement de paradigme ? Que l’Afrique cesse d’être dépendante de ses exportations de matières premières. Si c’est vraiment ce que nous voulons, nous devons tout faire pour favoriser une transformation structurelle du continent. Par exemple en aidant au développement d’une industrie pharmaceutique ou en augmentant considérablement le financement des infrastructures ou de la logistique.
Il y a aussi des problèmes commerciaux. Dans ce domaine, les Européens doivent tenir compte de l’orientation prise par les Africains avec la mise en place de la ZLEC. [Zone de libre-échange continentale, aussi appelée Zlecaf], au lieu de s’appuyer sur d’anciens schémas commerciaux.
« Mais même si l’argent européen circule librement, nous, Africains, devons être plus unis pour défendre nos propres intérêts »
En public, pourtant, l’Europe est très enthousiasmée par la ZLEC, dont elle finance d’ailleurs largement la mise en place de…
Oui, mais son argument est toujours de dire que nous ne sommes pas prêts et que nous ne pouvons donc pas négocier de continent à continent. On se retrouve donc avec treize types d’accords commerciaux, un avec le Maroc, un avec l’Afrique du Sud, etc. Pour chacun de ces accords, l’Europe défend fermement ses intérêts. Je ne dis pas qu’il y a une sorte de complot. Mais même si l’argent européen circule librement pour financer la ZLEC ou l’Union africaine, nous, les Africains, devons aussi être plus unis pour défendre nos propres intérêts.
Vous avez été un grand promoteur de la ZLEC. Pourquoi ce projet n’avance-t-il pas aussi vite qu’espéré ?
En effet, après beaucoup d’excitation, il y a une certaine stagnation. Bien sûr, la pandémie a beaucoup ralenti le processus. Le secrétariat général de la ZLEC a été lancé durant cette période, ce qui a rendu plus difficile le recrutement et la mise en place logistique de cette machine assez complexe. Et les inquiétudes liées à la crise sanitaire étaient telles que cette question a été quelque peu mise de côté.
En l’absence de mobilisation politique, les négociations s’enlisent autour de deux sujets : celui de la propriété intellectuelle et la question des règles d’origine. [les critères permettant de déterminer le territoire d’origine d’un produit]. Ce sont des questions importantes, mais nous pourrions absolument trouver des solutions et aller de l’avant.
Un aspect crucial maintenant est aussi de pouvoir démontrer notre capacité à négocier dans le cadre de cette zone de libre-échange. C’est pourquoi l’enjeu de l’Europe, notre premier partenaire commercial, est si important. Celui-ci servira de référence pour les futures négociations avec d’autres partenaires comme la Chine ou les États-Unis.
« Le monde entier risque de s’endetter, les Africains sont blacklistés comme s’ils étaient les seuls à avoir un problème »
Pourquoi jugez-vous si sévèrement les réponses apportées par la communauté internationale pour aider l’Afrique à surmonter la crise ?
Prenons l’exemple des SDR [droits de tirage spéciaux, l’actif de réserve du Fonds monétaire international]. On a dit que l’émission de 650 milliards de dollars de DTS par le FMI serait une solution pour les pays en développement, surtout si, comme l’a exigé le président français, les pays riches redistribuent leur part. Mais finalement, quand on regarde les chiffres, on voit que jusqu’à présent, seulement 5% de ce montant est allé à l’Afrique. C’est une miette.
Pour moi, le système de financement international traverse une grande crise morale. Le monde entier croule peut-être sous les dettes, les Africains sont mis sur liste noire comme s’ils étaient les seuls à avoir un problème avec ça. Cependant, le problème de l’Afrique est bien plus celui de l’accès au financement. Lorsque les pays africains veulent emprunter, ils doivent payer des taux très élevés, tandis que l’Allemagne peut lever des fonds à des taux négatifs. Dans ces conditions, n’est-ce pas elle qui bénéficie d’un « plan d’aide » et de fonds concessionnels, plutôt que les Africains ?
Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que l’Afrique doit produire ses propres vaccins. Cette crise peut-elle aussi générer des progrès ?
Cette crise a fait beaucoup de dégâts en Afrique, mais elle lui a aussi permis de gagner beaucoup de débats. Notamment celle sur les brevets et la nécessité de développer une industrie manufacturière. J’espère que nous sommes aussi en train de faire bouger les lignes sur la dette, car l’inégalité de traitement de l’Afrique sur ce sujet est devenue une évidence pour tout le monde. D’ailleurs, les dirigeants africains osent désormais s’exprimer sur cette question et faire eux-mêmes des propositions. Globalement, on peut se réjouir que des sujets débattus de manière très théorique depuis des décennies commencent à se concrétiser.