Demandée à plusieurs reprises par la présidence ukrainienne depuis avril et rejetée autant de fois par l’UA, l’organisation laborieuse de ce simple message vidéo illustre les liens difficiles entre Volodymyr Zelensky et les dirigeants du continent : le premier tentant de mobiliser l’Afrique derrière Son pays en la guerre avec la Russie, celle-ci s’en tenant à une position neutre, aux contours vagues.
Pour M. Zelensky, il s’agissait de défendre sa version du conflit et la responsabilité de la crise alimentaire subie par le continent. « L’Afrique est l’otage de ceux qui ont déclenché la guerre contre notre État », a-t-il déclaré, faisant référence à Moscou. Le niveau « injuste » des prix alimentaires « causé par la guerre de Russie (…) se fait douloureusement sentir sur tous les continents », a-t-il déploré.
Il s’est également lancé dans une offensive de charme. Après avoir rappelé la contribution de l’Ukraine aux missions de maintien de la paix en Afrique et les liens commerciaux qui l’unissent au continent, le président a annoncé la nomination prochaine d’un envoyé spécial Pour l’Afrique et proposé l’organisation d’une « grande conférence politique et économique Ukraine-Afrique ».
« Plans irréalistes »
Le message de dix minutes de M. Zelensky n’a cependant suscité que peu d’intérêt du côté africain. « Des projets irréalistes qui n’ont suscité aucune réaction ici », résume un diplomate africain qui a écouté le discours. Seuls quatre chefs d’État l’ont suivi en direct. Au même moment, sept dirigeants se Sont réunis à Nairobi, au Kenya, Pour discuter de la sécurité dans la région des Grands Lacs.
Organiser ce discours était une manière symbolique Pour l’UA de rééquilibrer une communication jusque-là essentiellement centrée sur la Russie. Début juin, le président de l’UA et président du Sénégal, Macky Sall, et le président de la commission de l’UA, Moussa Faki, se Sont rendus à Sotchi Pour rencontrer Vladimir Poutine. M. Sall a particulièrement critiqué les sanctions occidentales contre la Russie.
La tentative de Zelensky d’unir le continent à la cause ukrainienne est presque futile, estiment plusieurs sources diplomatiques au sein de l’UA. « Je ne sais pas quel geste il attend de nous, mais notre priorité reste l’approvisionnement en céréales et en engrais », souligne un diplomate est-africain. Lors d’une récente visite à Paris, M. Sall a martelé le message. « Nous ne sommes pas vraiment dans le débat de qui a tort, qui a raiSon. Nous voulons juste avoir accès aux céréales et aux engrais », a-t-il déclaré dans une interview au Monde. Près de la moitié des pays africains dépendent des importations de blé de Russie et d’Ukraine. Quatorze d’entre eux reçoivent même de ces deux pays plus de la moitié de leur blé. De plus, les engrais s’épuisent également, alors que la saiSon des pluies, et donc celle des semis, a commencé.
« Fausse naïveté »
Dans ce contexte, le président de l’UA demande à l’Ukraine de déminer le port stratégique d’Odessa Pour permettre l’embarquement des cargos, considérant qu’il avait des garanties de non-agression de la part de M. Poutine. « A propos d’Odessa, Macky Sall fait preuve d’une vraie fausse naïveté, juge Paul-Simon Handy, chercheur à l’Institute for Security Studies. Il prend au pied de la lettre ce que dit Vladimir Poutine. »
En cas de déminage, Kyiv craint une invasion russe par la mer Noire. Dans sa vidéo, Volodymyr Zelensky a présenté la solution fret, rappelant que « la crise [alimentaire] a commencé le 24 février, lorsque la flotte russe a bloqué les ports ukrainiens ». « Aucun véritable outil n’a encore été trouvé Pour s’assurer que la Russie n’attaque pas [les ports] encore », a-t-il dit.
Concluant Son discours, le dirigeant a tenté de jouer sur la tendance anti-impérialiste de l’UA. « La Russie essaie de conquérir notre terre, de transformer l’Ukraine en une colonie russe », a-t-il déclaré. Sans grand succès. Dirigeants du continent dans cette crise, MM. Sall et Faki marchent sur une ligne de crête, contraints de maintenir une position ambiguë susceptible de satisfaire les supporters africains de Moscou et les non-alignés. Le président sénégalais a salué, lundi, sur Twitter « l’allocution amicale » de M. Zelensky, réaffirmant que « l’Afrique reste[ait] attaché au respect des règles du droit international, à la résolution pacifique des conflits et à la liberté du commerce ».
Le monde. Ve