Livré. L’élection de 2022 ne doit pas échapper à la règle : chaque élection est désormais l’occasion de commenter la permanence, sinon l’augmentation, du phénomène d’abstention. Pourtant, parmi les réponses avancées par les abstentionnistes pour expliquer leur (manque de) geste, une revient particulièrement souvent aujourd’hui : « Voter n’est plus utile. «
Certes, de nombreux éléments propres au régime représentatif du Ve République ou le contexte contemporain peuvent expliquer ce sentiment chez les électeurs français. Raphaël Barat, maître de conférences en histoire moderne à l’université de Caen, a choisi de revenir sur un épisode suisse de doléances contre le vote : à la fin du XVIIe sièclee siècle, dans la petite République de Genève, on assiste à une rébellion de « Bourgeois et citoyens » (une petite partie de la population genevoise), qui se plaignent alors de « Votez pour rien ».
Système de vote par chuchotement
Difficile de leur prouver le contraire, comme nous le lisons dans ce livre court et dense. Convoqués deux fois par an pour élire les plus hauts magistrats de la République, les citoyens n’ont en réalité le choix que parmi des candidats présélectionnés par le Petit et le Grand Conseil – assemblées non élues, mais qui sont cooptées au sein d’une élite oligarchique. De plus, le poids de l’environnement social est tel lors de ces élections (notamment par le recours à des « Vote auriculaire », c’est-à-dire un système de vote en chuchotant à l’oreille d’un secrétaire) qu’elles conduisent presque invariablement à la reconduction des magistrats sortants. Ces votes servent donc avant tout à confirmer la légitimité du « Chefs naturels » de la communauté, ou considéré comme tel.
Tout change cependant à la fin du XVIIe siècle, alors que le contexte économique devient de plus en plus difficile dans la petite République. Face à une élite dirigeante qu’ils jugent trop francophile, les citoyens menacent à plusieurs reprises de « Faire sauter les vieux », autrement dit, de déroger à la règle de renouvellement des sortants. Et, en 1707, les tensions accumulées finissent par éclater en une crise ouverte autour du fonctionnement politique de la République et du sens des élections.
Exigence de démocratie directe
Si Raphaël Barat prend le temps de rendre compte en détail de ce mécontentement populaire, c’est parce que les solutions envisagées par les Genevois pour ne plus « Votez pour rien » ont plusieurs originalités. Des mesures telles que l’utilisation du vote par ticket (écrit et non plus chuchoté) et de l’isoloir, ou la limitation de la parenté des magistrats élus sont mises sur la table des négociations et en partie entérinées. Plus innovant encore, les citoyens demandent la mise en place d’une forme spécifique de démocratie directe, lors de réunions qui constituent une première expérience.
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